La réaction de SOS Villages d’Enfants au plan pauvreté

« Monsieur le Président, vous venez de présenter votre Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté à laquelle sont confrontés nombre d’enfants et de jeunes. SOS Villages d’Enfants, qui prend en charge des enfants sans soutien parental, est particulièrement attentive au moment critique de l’entrée de ces enfants dans la vie adulte.

Or, du fait de l’arrêt brutal de leur prise en charge par la protection de l’enfance à leur majorité, plus de 40 000 jeunes âgés de 18 à 21 ans peuvent se retrouver sans aucun accompagnement au risque de basculer du jour au lendemain dans la précarité. Comment justifier que les pouvoirs publics abandonnent ces jeunes après les avoir protégés pendant leur enfance ? Les soutenir, y compris au-delà de leurs 18 ans, n’est pas une charge pour la société, bien au contraire !

Des jeunes, qui sont parmi les plus touchés par la pauvreté

Aujourd’hui, en France, plus de 300 000 enfants et jeunes bénéficient d’une mesure de l’aide sociale à l’enfance, pour nombre d’entre eux jusqu’à leur majorité. Alors qu’ils comptent parmi les plus fragiles et les plus démunis de leur génération, ils sont victimes d’une véritable injonction à l’autonomie dès le jour de leurs 18 ans et font face à de nombreuses difficultés : trouver un logement, devoir écourter leurs parcours scolaires voire subir une orientation pour trouver un emploi le plus tôt possible, faire face à une rupture brutale des liens éducatifs et affectifs tissés, ne pas avoir le droit à l’erreur… A 18 ans, comme le permet le cadre législatif, ces jeunes devraient pouvoir bénéficier d’une poursuite de leur prise en charge via les contrats jeune majeur et ce jusqu’à leurs 21 ans. Pourtant ces contrats, dans les faits, deviennent de plus en plus difficiles à obtenir auprès des conseils départementaux et leur durée est de plus en plus courte, de 3 à 6 mois. La situation se dégrade et les conséquences en termes de pauvreté ne sont plus à démontrer : 25% des personnes sans domicile fixe sont passées par l’aide sociale à l’enfance, une proportion qui atteint même 40 % s’agissant des jeunes.

Quelle incohérence de demander à ceux qui disposent du moins de ressources de faire plus vite et mieux que les autres !

Alors que  l’âge des 18 ans est une ouverture vers la liberté, pour les jeunes qui sortent de la protection de l’enfance c’est une véritable angoisse. Trop souvent, leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés : le droit à l’éducation, le droit à l’égalité, le droit à une vie décente, … Comment la France, pays berceau des Droits de l’Homme, peut-elle laisser ces jeunes à la marge ?

Intégrer les jeunes majeurs dans la Stratégie, une avancée notable !

SOS Villages d’Enfants se félicite, Monsieur le Président, de votre décision que les jeunes majeurs ayant bénéficié d’une mesure de protection constituent une des préoccupations de cette stratégie.  En effet, ce plan insiste notamment sur l’obligation d’extension du contrat jeune majeur à 21 ans, l’extension de la garantie jeune, le passage de la scolarisation obligatoire à 16 ans à une formation obligatoire jusqu’à 18 ans pour ne laisser aucun jeune de côté… C’est une avancée notable ! De plus, vous insistez sur l’importance d’accompagner ces jeunes dans leur recherche de logement, de formation, d’emploi.

En revanche, nos jeunes – proches de la majorité et présents dans la salle lors de  la présentation de la stratégie – s’interrogent sur la date de mise en œuvre de l’obligation d’extension de ces contrats jeunes majeurs à 21 ans. Il y a urgence.

Des propositions néanmoins insuffisantes

La proposition systématique d’un accompagnement jusqu’à 21 ans, évoquée dans votre Stratégie, est un premier pas que nous saluons. Toutefois, ce n’est pas suffisant ; l’âge moyen de départ d’un jeune du domicile familial est de 23 ans en France (source URHAJ [1]). SOS Villages d’Enfants estime qu’il ne faut pas instaurer de couperet pour la fin de la prise en charge mais bien l’adapter à chaque jeune en raisonnant en termes de parcours individualisé jusqu’à son inclusion pleine et entière dans la société. Un meilleur accompagnement se traduira par une meilleure inclusion dans la société. Ces dépenses constituent donc un investissement social – comme vous l’avez mentionné Monsieur le Président, c’est-à-dire un gain pour le jeune et pour toute la société ; c’est en quelque sorte le « cercle vertueux de la prise en charge ».

Monsieur le Président, dans l’annonce de votre Stratégie, vous encouragez les conseils départementaux à accompagner ces jeunes dans un objectif de « zéro sorties sèches » de l’Aide sociale à l’enfance et annoncez la mise en place d’un fonds de 50 millions d’euros.  Nous serons vigilants au déblocage de ces fonds. En revanche, les engagements et répartitions des responsabilités entre Départements et Etat doivent être clarifiés.  Nous porterons une attention particulière à ce point et à ce que les inégalités territoriales ne continuent de se creuser.

Comment avancer davantage ?

Au-delà des mesures que vous avez annoncées Monsieur le Président, SOS Villages d’Enfants insiste sur l’importance de :

  • Permettre l’accès aux contrats jeunes majeurs à tous les jeunes qui ont été pris en charge pendant leur enfance (y compris les mineurs isolés étrangers/mineurs non accompagnés) ainsi qu’à tous ceux en difficulté à ce moment de leur parcours.
  • Viser le logement pérenne des jeunes et pas uniquement leur hébergement temporaire voire en urgence.
  • Prévenir leur isolement social en évitant les ruptures d’accompagnement, en maintenant un environnement social et affectif dans lequel ils pourront continuer à se construire et se projeter dans l’avenir ;
  • Permettre à ces jeunes d’être des citoyens épanouis et engagés en expérimentant, en disposant d’un droit à l’erreur comme n’importe quel jeune, en participant aux décisions, en étant acteur de leur vie.

De la parole aux actes

Monsieur le Président, nous saluons le lancement de votre Stratégie.

Nous soulignons également la mobilisation d’Olivier Noblecourt, Délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes et son équipe s’appuyant sur les réalités de terrain à l’instar de sa venue à Avignon pour voir la pièce de théâtre « J’ai pas l’temps, j’suis pas comme eux » qui porte la parole de ces jeunes. Cette stratégie reprend des recommandations de l’important rapport produit par Antoine Dulin, Vice-Président du CESE et rapporteur de l’avis sur la prévention des ruptures de parcours en protection de l’enfance en juin dernier. La proposition de loi de Brigitte Bourguignon déposée fin juin a également permis de mettre sous les projecteurs cette thématique.

Engagée depuis plus de 60 ans sur ces enjeux, SOS Villages d’Enfants se place comme un acteur constructif qui souhaite dialoguer avec les pouvoirs publics pour améliorer la situation des jeunes sortant de la protection de l’enfance. Vous avez appelé à la mobilisation de toutes et tous pour lutter contre les déterminismes dès l’enfance. SOS Villages d’Enfants répond présent. Nous serons attentifs, vigilants et exigeants en ce qui concerne la mise en application de ce plan, notamment sur la question des jeunes majeurs. Passons de la parole aux actes ! Et nous serons à vos côtés Monsieur le Président pour accompagner ces jeunes, dans l’objectif commun de construire une société réellement inclusive, offrant une place à chacune et chacun. Pour être à la hauteur des enjeux et tenir parole, mettez les moyens pour faire en sorte que d’ici la fin du quinquennat, il n’y ait plus de « sorties sèches » pour les jeunes majeurs ! »

 

Isabelle Moret,

Directrice Générale de SOS Villages d’Enfants – France